Publier ou pas ?
C’est une vraie question qui se pose quand on détaille une approche, une méthodologie ou une idée… Bref quand on dévoile une partie de son travail gratuitement, pour information avec le risque de se voir spolier par des concurrents.
Mais je me dis qu’en communicant, je montre d’où viennent les idées. Et cela permet aussi de faire avancer le débat. Et je me dis aussi que cela ouvre surtout la possibilité à des collaborations, et non à des spoliations !!
Régulièrement questionné sur la concertation avec les habitants dans les PLH, ou sur les enjeux d’évaluation des politiques publiques avec les habitants, usagers et bénéficiaires – on sent que la notion de « design des politiques publiques » se développe.
Selon moi, il faut une approche extrêmement pratique et opérationnelle des choses, qui permettent de montrer en quoi cela peut « bonifier » le PLH. Assez classiquement, il est souligné que l’exercice d’élaboration du PLH reste technique et relève de « l’entre soi ». Il convient donc de bien prendre en compte la culture technicienne aussi sur le sujet !!
Il faut également bien identifier l’effet « mode » que peut avoir ce dispositif de design des politiques publiques. Et prendre garde que le vocabulaire techno de l’habitat ne rencontre pas la sémantique de la « start-up nation », que j’ai fréquenté de près ces dernières années ! Il faut être très concret et avoir un langage simplifié.
Pour une Politique Locale de l’Habitat utile aux ménages, qui parle avec eux de leurs vies d’habitants
Il faudrait ainsi définir un fil rouge d’intervention qui place les usagers au cœur de la démarche (ce qui va plus loin que notre traditionnelle approche des ménages au cœur du PLH). Mais, dans une logique de concertation, il faut bien lui donner du SENS. C’est à dire que la politique publique soit en capacité d’organiser le réceptacle du matériel issu de la concertation. Ce que le nouveau design va apporter doit pouvoir être utilisé de façon concrète dans une politique relativement corsetée et complexe. Il faut donc bien afficher un principe de réalité.
Pour moi, les usagers au cœur de la démarche doivent se voir en fonction de la « fragilité » qu’ils ont vis-à-vis de l’habitat. La politique publique doit venir corriger et prévenir ces fragilités. C’est son boulot. Et aussi parce qu’aujourd’hui, sans ces interventions publiques, le fonctionnement satisfaisant de la cité ne pourrait se faire. La ville d’aujourd’hui fonctionne avec une approche « publique » de base qu’il ne faut pas oublier. Evitons des raccourcis trop faciles sur les finances publiques. Et c’est particulièrement vrai pour les questions d’habitat. Dans le domaine du logement, la patte de la politique publique est omniprésente, même dans le logement privé ! (Aides fiscales, dispositifs d’aides à l’accession, aides à la réhabilitation, etc…).
Et quand on parle « habitat » il convient aussi de considérer la gestion de l’espace public et les transports. Surtout dans la perspective d’une politique de l’habitat concertée. Les usagers parlent de leurs vies du logement jusqu’au quartier en passant par les places publiques.
Cadrons les fragilités des ménages sur le territoire
Une approche d’un PLH, au service de la lutte contre les fragilités avec un diagnostic qui permet clairement d’identifier les systèmes de fragilité à l’œuvre sur le territoire.
Il s’agit ainsi de poser le « tapis de jeu » du PLH, de la façon suivante, en chiffrant la situation et l’évolution, en localisant les ménages du territoire avec une entrée « situation vis-à-vis du logement » (à adapter et faire évoluer selon les territoires, les situations, etc…):
Exemple d’arborescence à adapter en fonction des données disponibles et de la stratégie
On caractérise ainsi la situation des ménages. C’est un travail statistique de base qui sert juste à comprendre les poids des populations dont on parle.
Puis, on regarde pour chacun, les fragilités :
– Fragilités avérées : pas de logements stable, taux d’effort important, etc…
– Fragilités potentielles : exposition forte à un accident (divorce, perte d’emplois, etc…), habitat insalubre, etc…
On « pèse » et chiffre ainsi les fragilités. On en mesure l’évolution. Et on les localise pour montrer les zones à risques.
On a donc des cases « fragilités » plus ou moins marquées selon les cas. L’idée est qu’avec une infographie parlante, on repère facilement les cases fragilités les plus importantes.
Passer de situations individuelles à une vision collective
Puis, on pose des hypothèses d’impacts sur le fonctionnement de la collectivité aussi bien en termes de recherche de valeur ajoutée (ex : présence d’actifs fiscalement intéressant) que de couts (ex : déplacement voiture en augmentation). On passe ainsi de situations individuelles à des situations collectives et territoriales. Et on met les politiques publiques en face. On peut les mettre en parallèle avec les évolutions des fragilités et le budget consommé par ces politiques. Il faut bien intégrer, dans l’habitat, les politiques qui permettent d’habiter. C’est-à-dire intégrer les déplacements et la qualité de service de la proximité.
Ce fil rouge nous sert pour animer les groupes de travail. On le nourrit par la méthode d’animation partenariale et de concertation. Peut être en ayant l’entrée « fragilité » qui permet de sortir d’approches trop thématiques et segmentées. Une des faiblesses dans l’élaboration des PLH sont ces groupes de travail avec toujours les mêmes acteurs qui se connaissent par cœur. Et du coup pour sortir des sempiternelles mêmes solutions, l’approche par fragilités peut permettre d’élargir les tours de tables.
Par ailleurs, en termes de traçabilité pour expliquer la politique publique aux prochains élus, on peut penser qu’on « détechnoïse » l’approche. Le PLH est plus proche de la réalité du terrain. Il ne faut pas perdre de vue que l’agenda des futurs nouveaux élus communaux est chargé en matière de prise de connaissance de dossiers aussi importants au quotidien que l’état de la voirie, le CCAS, les menus à la cantine, etc… Alors l’habitat au niveau de l’intercommunalité… c’est bien loin de leurs urgences même si de fait cela en fait partie ! Mais bien souvent ils jugent que le PLH ne leur donne pas d’argumentaire simple quand le samedi matin ils sont interpellés sur des questions d’habitat par leurs administrés.
Concerter avec les usagers
Dans ce cadre méthodologique, la concertation avec les usagers permet :
– D’enrichir le diagnostic
– De comprendre le « vécu » des situations
– D’analyser la portée des politiques publiques proposées (en termes d’accessibilité, de connaissance, de compréhension, d’adaptabilité, etc…)
– De comprendre les manques et les pistes de progrès pour mieux répondre aux besoins
Bref, de donner de la couleur aux travaux et de contourner les faiblesses des politiques publiques.
Pour cela, il faut « aller vers ».
Il faudrait donc aller vers les gens en leur proposant du matériel pour réagir sur « l’habiter ». Mais surtout pas avec une approche d’urbanistes ou de « penseurs de la ville ». Au risque de recueillir des propositions qui ne seraient pas « politiquement correctes », comme l’attrait de l’habitat individuel par exemple.
Pour mémoire, le travail de l’observatoire des usages émergents de l’ADEME sur la ville, intitulé « la ville intelligente s’invente dans les proximités » avait montré que la ville connectée subissait un désaveu énorme de la part de la population. Alors que c’est le modèle qui nous est asséné par les professionnels depuis plusieurs années.
Le PLH doit gagner en « proximité » et se rapprocher de la Politique de la ville.
La concertation « habitat » : parler d’un besoin vital… tout le monde est légitime
Concrètement, pourquoi ne pas aller voir les usagers dans les entreprises, les universités, les foyers, les associations sportives et culturelles, les centres commerciaux, etc… et les faire « travailler » sur la vision qu’ils ont de leur habitat aujourd’hui, et les progrès dont ils auraient besoin pour mieux « habiter ». Sans censure. Sans « formation ». En effet, la méthode de concertation classique est de « former » des panels aux politiques publiques et leurs contraintes, pour ensuite les écouter.
Soyons dans une logique très anthropologique. Ecoutons l’humain et ses besoins. Il s’agit aussi de renouveler les politiques publiques de concertation !!
Recueillons donc les besoins vitaux d’habitat pour contrer les fragilités. On verra ensuite comment adapter la politique publique.
Ecoutons les histoires d’itinéraires résidentiels passés, présents et futurs
On pourrait donc avoir plusieurs pistes :
– Un jeu de construction, réel et/ou virtuel, où on demande aux gens de raconter leur itinéraire résidentiel passé, présent et futur. Ils sont donc a priori en capacité de dire ce qui était bien et moins bien dans leurs logements passés et pourquoi ; et ce qu’ils imaginent pour la suite.
– Pour cette suite, il peut être intéressant de voir à quelles conditions ils se programment un itinéraire résidentiel futur positif… ou s’ils sont dans un registre négatif.
– De plus, en faisant faire ce jeu à différents types de ménages, pas tous au même niveau dans leur itinéraire résidentiel, l’avenir de certains aura déjà été vécu par d’autres. On peut donc confronter des approches imaginaires à du vécu pour des ménages du même type.
Bien entendu, les ménages doivent s’identifier selon les indicateurs proposés en amont pour la méthode fil rouge du PLH.
On peut imaginer un jeu avec une succession de questions sur le passé, le présent et le futur. Très illustré. Peut être en format numérique pour simplifier le traitement ( ?).
Mais cela n’empêche pas d’avoir une « mise en scène » à travers des tablettes en libre-service par exemple dans des centres commerciaux ou lors de visites en entreprises ou autres lieux par exemple.
On fait ainsi une enquête sur l’itinéraire résidentiel des ménages du territoire.
Par exemple,
JE ME SOUVIENS…
– Mon premier logement indépendant, c’était à… j’étais locataire, etc… il était bien parce que… il était moins bien parce que… je l’ai quitté parce que
– Puis, mon second logement, c’était… il était bien, parce …
– Mon troisième logement c’était pour me mettre en couple avec Bernadette
– Qui m’a plaqué pour mon 4ème logement ou je suis aujourd’hui
– Demain, je voudrai avoir un logement en accession à la propriété, plutôt en banlieue, avec une ligne de transport en commun, des commerces. Mais je sais que pour me payer ca il me faudra…
Mettons les politiques publiques à l’épreuve de la concertation
Les fragilités identifiées sont ainsi caractérisées en matière de « coups de pouce » nécessaires pour permettre de réaliser ces itinéraires résidentiels.
Ces « coups de pouce » publics et collectifs représentent un potentiel d’efficacité de la politique publique. En accompagnement au bon moment et bon endroit pour aider, potentiellement, des ménages à franchir des étapes dans leurs itinéraires résidentiels.
De fait, on écoute des histoires vécues et des histoires imaginaires, et on voit ce que la politique publique peut faire. Quel rôle elle peut jouer.
Et grâce au travail de diagnostic, la masse de population qui correspond de fait ou potentiellement à chaque case de fragilité à corriger ou sur lesquelles faire du préventif est connue. On adapte donc en continu ses politiques en pérennisant le dispositif d’observation et de concertation.
La politique de l’habitat étant un « super tanker » à piloter, avec des temps de réaction très longs. Il convient d’identifier les questions de proximité et les lier aux stratégies de plus grande échelle… peu importe le jeu de répartition des compétences !! Les habitants ne le connaissent pas !! Soyons avant tout agiles et réactifs.