« Nous avons le flacon, mais avons-nous l’ivresse ?. »

À la suite d’un webinaire¹ sur les Observatoires Habitat-Foncier (OHF), plusieurs réflexions ont assailli mon esprit, jusqu’à cette question centrale :
« Nous avons le flacon, mais avons-nous l’ivresse ? »²

Le flacon, ce sont ces dispositifs d’observation qui ratissent un volume important de données et proposent des restitutions claires. Un bel objet, bien rempli.
La manière de construire ce flacon (données, moyens de recueil, fiches de diffusion…) semble désormais maîtrisée : un véritable savoir-faire existe.

Mais l’ivresse est-elle au rendez-vous ?

L’ivresse, ce serait des décideurs pilotant réellement leur politique de l’habitat à partir des OHF : en les consultant, mais aussi en ayant la capacité de faire évoluer efficacement leur stratégie.
L’OHF percute-t-il suffisamment les décideurs ? Permet-il d’évaluer en continu la pertinence des politiques de l’habitat ?

Je m’interroge.
Pas sur la qualité du flacon, mais sur l’ivresse qu’il devrait provoquer. Car le but, c’est bien l’ivresse³.

1. L’animation et la communication

Une fois le flacon conçu, le travail commence : celui de l’animation.
Mais difficile d’aller plus loin que le tableur Excel lorsque les services habitat disposent de peu de moyens d’ingénierie.

Pourtant, dans un contexte de « révolution de l’intelligence artificielle », ne ratons pas l’occasion de donner davantage de valeur ajoutée aux OHF. On peut imaginer que l’IA finisse par remplacer certaines fonctions d’études classiques et de recueil de données⁴.

C’est donc l’occasion de réorienter les ressources pour se concentrer sur :

  • l’animation des résultats,
  • la communication pédagogique.

Je parle bien de réorienter, et non de faire disparaître.

2. L’expression du qualitatif

Se dégager des ressources, c’est aussi pouvoir produire des interprétations qualitatives :

  • interviews d’acteurs de l’habitat,
  • réactions aux données,
  • hypothèses d’explication,
  • formulation d’attentes.

Le qualitatif, c’est aussi assumer que les chiffres ne font pas tout — voire qu’ils ne sont là que pour l’appuyer.

C’est dans cet esprit que je travaille depuis des années, dans un coin de mon PC, à un observatoire des signaux faibles de l’habitat (plus d’éléments à venir dans les prochains épisodes… si ça, ce n’est pas du teasing !).

3. La pertinence des observations

Un « bon » PLH, apprécié en CRHH, est souvent celui qui affiche programmations et planifications de logements respectant une mixité de l’offre. Des indicateurs que l’OHF peut facilement suivre : on se satisfait du flacon.

Mais on ne partage aucune obligation de résultats sur l’amélioration de l’itinéraire résidentiel des ménages.

En se focalisant sur les chiffres (choc de l’offre, part de logements sociaux, types de logements à produire…), on reste aseptisé. Et le volet foncier est parfois encore plus verrouillé dans son flacon⁵.

On reste surtout dans l’entre-soi : collectivités, État, bailleurs, promoteurs… chacun interprétant les chiffres à sa manière (j’y contribue parfois, je le reconnais).

4. Propositions : construire des observatoires centrés sur les ménages

Je propose d’intégrer des indicateurs de réussite centrés sur les ménages, véritables juges de paix.

Exemples :

  • Fixer un taux cible de tension demande/attribution en logement social, avec une date butoir.
    Tant que la tension n’est pas atteinte, il y a un problème d’offre sociale⁶.
  • Décliner des objectifs pour certains types de demandeurs, notamment les plus fragiles.
  • Intégrer un indicateur sur le nombre de demandes par annonce dans le parc locatif privé.
  • Sélectionner une dizaine de ménages cibles :
    raconter leur histoire (composition, moyens, situation professionnelle, étape de l’itinéraire résidentiel…),
    puis construire des indicateurs d’accessibilité sur tous les segments du logement (du PLAI au marché libre en accession).
    Suivre ensuite l’évolution de ces indicateurs dans le temps.

Ce suivi interroge directement :

  • la pertinence de la production,
  • ses prix,
  • sa localisation,
  • les politiques foncières,
  • les réponses du parc existant…

Il oblige à sortir des recettes habituelles.

Cependant, il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain :
les OHF actuels restent précieux. Ils permettent d’objectiver ce que l’on fait et de quantifier les populations de ménages cibles.

Manuel LOPEZ-NARDIN
Président de MLN-Conseil
06 83 46 72 24 • manuel.nardin@mln-conseil.fr

¹ Webinaire très intéressant organisé par le CRHH Auvergne-Rhône-Alpes
² Adage : « Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse »
³ La consommation d’alcool est dangereuse pour la santé
⁴ Question qui se pose également pour les métiers du conseil en habitat et aménagement
⁵ Avec parfois l’idée que le foncier est rare et cher… en raison du ZAN, bien sûr !
⁶ Je sais : « demande » n’équivaut pas systématiquement à « besoins », mais l’indicateur existe, et il est accessible.

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