« Madame/Monsieur le Maire
Je vous écris cette lettre
Que vous lirez peut-être
Car la stratégie foncière
En matière habitat
Est l’enjeu du mandat. »
La « stratégie foncière » est devenue un mot valise derrière lequel on trouve pêle-mêle les PLUi, les PLU, les ZAC, les PAF, les ER, les OAP, les DPU, les EPF, les OFS, … J’en passe et des meilleurs ! Tout cela reste bien confus, et souvent les questions foncières couplées au jargon urbanistique est un moyen pour les experts de rester entre eux et d’exclure les béotiens.
L’objet de cette courte missive est d’essayer de vous expliquer de façon synthétique ce que peut être votre rôle, en tant qu’élu, dans ce dédale.
Votre défi c’est de comprendre le terrain de jeux dont vous avez hérité, avec ses contraintes et opportunités. Puis de formaliser ce que vous avez envie d’en faire, sachant que vous n’êtes pas seul et que circonscrire le « terrain de jeux » aux limites communales est trop restrictif.
C’est à vous d’écrire, en concertation, le « cahier des charges » de ce que vous projetez sur votre terrain de jeux, pour quand et pourquoi. Afin que, in fine, les fameux « experts » comprennent bien ce que vous souhaitez qu’ils fassent.
Mais débutons par le « terrain de jeux ».
Tout d’abord il s’agit du « terrain de jeux » sociologique.
Dans cette première étape il faut s’autoriser à s’affranchir de la technique et se projeter dans une approche sociale et humaine.
La stratégie foncière est au service du projet social et humain. Ce n’est pas la porte d’entrée de la réflexion habitat. Les gens et leur bien-être c’est par là qu’il faut aborder le sujet. Ça tombe bien c’est votre mission d’élu.
L’enjeu c’est surtout d’expliquer pourquoi on veut développer à tel endroit (proximité gare, services, etc…) avec une cible de ménages (familles, étudiants, seniors, démunis, …) correspondant à l’optimisation des équipements présents par exemple, ou parce que c’est l’endroit idéal pour ce type de population. Et que le marché naturel ne parvient pas à les implanter dans ce secteur préférentiel. Idéalement, il faut commencer l’analyse du terrain de jeux par les usages et itinéraires résidentiels des plus fragiles.
Le PLUI, en particulier via les Orientations d’Aménagement et de Programmation, est l’outil qui devrait répondre à ce besoin. Mais il demeure très technique. On y perd parfois le sens politique initiale au fil du temps… Il faudrait peut-être juste avoir un master-plan intercommunal sociologique idéal à 20 ans qui répond à la question « qui faut-il loger à tel endroit pour que la cité, dans toute sa diversité, fonctionne bien en bon équilibre ? soit : le bon logement, au bon moment, au bon endroit ».
Puis seulement ensuite, s’attarder sur le foncier et sa nature.
Il s’agit de comprendre la matière foncière à modeler dont vous disposez. Et nous sommes bien loin d’une simple approche de terrains nus à construire. Cela devient d’ailleurs une denrée de plus en plus rare. Nous sommes face à des sites occupés, valorisés ou sous-valorisés. Il faut se développer sur le « déjà là ». L’enjeu est d’investir maintenant afin d’économiser les ressources de la Planète pour plus tard.
Les solutions techniques existent, ou s’expérimentent, pour trouver des nouveaux terrains de jeux de développement des logements qui épargnent les sols : zones commerciales, densification, surélévation, renouvellement, adaptation, etc… et en plus cela peut se traduire par plus de qualités ! Il ne faut surtout pas avoir une approche dogmatique contre ces nouveaux modèles, ni une approche béate bien sûr !
Il faut sans doute se dire que tout est possible. Le terrain de jeu s’est certes restreint, mais il y a largement de quoi faire tant nous avons artificialisé ces dernières décennies, pensant que l’étalement était le modèle juste pour accompagner le développement.
Toute cette logique se traduit dans le fameux Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Et au-delà de toutes considérations politiques sur ce dispositif, il traduit bien ce besoin de nouveau modèle nécessaire sur tous les territoires. Y compris les territoires en déprise qui artificialisent des sols tout en perdant des habitants, et en désertifiant les centres villes au profit d’une offre de terrains à construire en périphérie… avec le risque de faire encore plus péricliter le centre. Le ZAN n’est sans doute pas tant « ruralicide » que l’on veut bien le dire…
Nous avons donc un terrain de jeux complexe avec lequel il faut composer pour réussir le master plan sociologique.
On sort du rêve et on entre dans le dur. Mais il faut garder le master plan en tête et considérer qu’il faut « faire plier le terrain de jeux ». C’est-à-dire qu’il faut faire le constat des enjeux patrimoniaux, d’insertion urbaine, de dureté du foncier, de coûts d’acquisition, etc… en particulier au regard des ménages qu’il faudrait idéalement loger et de leurs moyens financiers.
En se disant que ce qui semble impossible aujourd’hui ne l’est peut-être pas demain, il faut y aller tous azimuts ! Notamment à travers la mobilisation des PLH.
Se servir de l’urbanisme réglementaire pour définir des zones inconstructibles (en particulier dans les territoires détendus, souvent le travail est déjà bien engagé sur les territoires tendus), se servir des derniers textes pour définir des zones réservées aux résidences principales, travailler des Orientations d’Aménagement et de Programmation, etc…
Se doter d’outils tels des référentiels de prix de la charge foncière admissible par secteur stratégique et d’observatoires pour suivre les évolutions du « master plan sociologique » et comprendre l’histoire de la valeur du « terrain de jeux ». C’est-à-dire estimer en quoi la valorisation patrimoniale d’un bien est due aux investissements publics réalisés afin de se donner des arguments de négociation. Il faut parler argent et valeur très tôt…
Définir les moyens financiers d’acquisition et de portage, en particulier avec un foncier « occupé », plus complexe à porter que les terrains nus.
Le travail est dense. Et cette lettre est juste une « mise en bouche » pour engager une réflexion sur votre place et votre rôle dans cette fameuse stratégie foncière. Restant à votre disposition…